Avec le télétravail, de nouvelles perspectives se sont aussi ouvertes pour envisager d’autres lieux de travail, les fameux tiers-lieux ou espaces de coworking.
Depuis des années que l’on parle du télétravail, la question de l’impact sur les territoires est évidemment un sujet majeur, peut-être plus en France que dans d’autres pays.
D’abord parce que les activités économiques sont souvent très centralisées sur des bassins d’emploi proches des grands centres urbains. Le prix de l’immobilier a poussé les salariés à s’éloigner de plus en plus de leur lieu de travail avec des trajets toujours plus longs et tout ce qui va avec (pollution, perte de temps, stress ou fatigue notamment).
Un DRH d’une entreprise toulousaine me disait récemment : « trente ans en arrière, les salariés qui intégraient l’entreprise habitaient dans un rayon de 25 à 30 km. Aujourd’hui, les nouveaux arrivants résident dans un rayon moyen de 50 à 100 km, souvent plus ». Si on ajoute à cela les difficultés de déplacement toujours plus grandes autour des bassins d’emploi, on voit bien que ces problématiques restent centrales.
Un point de contexte sur les tiers-lieux
Au début des années 2000, la DATAR puis le CGET, (ancêtres de l’actuelle Agence Nationale de Cohésion des Territoires) pilotaient déjà un programme qui visait à créer « 1.000 poste de travail dans des télécentres ». Le télécentre pouvait déjà se définir comme un tiers-lieu de travail ou un espace de coworking. Dans la première étude que nous avions réalisé pour la DATAR en 2006, il était déjà question d’étudier comment développer l’économie résidentielle et offrir des solutions alternatives à des trajets domicile-travail toujours plus longs. Et le tiers-lieu peut bien sûr participer à ce mouvement.
Les tiers-lieux ont beaucoup évolué
Premier constat, au fil du temps, la définition du tiers-lieu s’est beaucoup élargie. La fonction initiale portait sur un espace d’accueil de salariés et d’indépendants, qui mettait à disposition des bureaux, des salles de réunion, des équipements partagés, parfois des services complémentaires et de la formation. Aujourd’hui, sur les 3500 tiers-lieux existants aujourd’hui en France, à peine de plus de la moitié (55%) proposent des bureaux partagés et du coworking, 31% des activités culturelles, 28% de la fabrication (fablabs et autres makerspace), des ateliers artisanaux partagés (16%), des laboratoires d’innovation sociale (15%), … et bien d’autres activités encore (*).
A CITICA, notre ligne de conduite n’a pas bougé depuis le démarrage : nous traitons des tiers-lieux de travail et de rien d’autre. Non pas que les structures évoquées plus haut ne soient pas intéressantes mais à trop vouloir mettre de fonctions dans la même structure, on en brouille surtout le modèle.
Illustration de ce point, en début des formations que nous animons sur le télétravail, nous posons systématiquement la question du lieu du télétravail et donc du tiers-lieu. A la question « Connaissez-vous les tiers-lieux ? », on a généralement une ou deux personnes sur un groupe moyen de 15 qui répond oui. Par contre, si on demande « Connaissez-vous les espaces de coworking ? », une majorité en a déjà entendu parler et sait correctement en décrire les fonctions.
Les conséquences sur le modèle économique
Autre conséquence des évolutions des tiers-lieux, ce n’est pas en élargissant le concept que l’on trouve plus facilement un modèle économique. Cela fait vingt ans que l’on entend le même discours : le modèle économique du tiers-lieu reste à construire. Il existe pourtant déjà deux modèles économiques bien distincts et cela a peu évolué depuis 20 ans.
Le modèle des tiers-lieux publics, gérés par des collectivités, par des universités, souvent aussi par des associations ou des collectifs de personnes, est un modèle subventionné : c’est un constat, pas une critique 😉
Les tiers-lieux publics sont en fait le prolongement de politiques publiques mises en place autour du numérique depuis des années. Pour accompagner l’émergence d’internet, à la fin des années 1990, plusieurs dispositifs avaient été déployés : espaces publics numériques (EPN) puis Cyberbases au début des années 2000. Ces dispositifs visaient à accompagner le lancement d’internet, à réduire la fracture numérique et à proposer de nouveaux services. Ils fonctionnaient déjà sur un modèle de financement public avec des fonds d’amorçage (notamment mis en place par la Caisse des dépôts et consignations), qui permettaient à des collectivités de lancer leur propre dispositif. C’est des dispositifs comparables qui opèrent encore aujourd’hui sur les tiers-lieux.
Le premier problème des stratégies d’amorçage, c’est qu’elles généraient souvent des effets d’aubaine pour les collectivités. Sur les premiers télécentres, on pouvait ainsi souvent se retrouver avec des situations ubuesques où, sans aucune logique de concertation inter-communale, deux communes rurales proches déployaient le même dispositif. Les modalités des derniers appels à projet ont toutefois défini un cadre plus strict sur ce premier point.
Le second problème, c’est que la logique même de fonctionnement de ces structures publiques et la diversité de leurs modèles, limite leur capacité à trouver des financements propres, qui leur permettraient de construire, à terme, une indépendance financière.
Le troisième problème de ces structures est culturel. En démarrage, beaucoup d’élus pensent par exemple que l’offre va créer la demande. Ce n’est malheureusement pas comme cela que le marché fonctionne et ce n’est pas non plus le métier des acteurs publics de vendre des services.
Ceci étant dit, les structures publiques ont une place prépondérante. La plupart ne sont simplement pas destinées à rentrer dans une logique de rentabilité économique, elles proposent d’abord des services à la population. Ne leur demandons pas l’impossible !
Il en va autrement pour les tiers-lieux privés. Certains ont su organiser un modèle économique sans doute moins ambitieux (donc plus spécialisé), mais centrés sur des services marchands. Généralement, on est sur du tiers-lieu de travail (accueil des télétravailleurs et des coworkers) qui propose à la fois de la location d’espaces (bureaux, openspaces, salles de réunion, …) et des services associés. Ici, ne nous le cachons pas, le modèle reste fragile. Mais certaines structures arrivent à fonctionner voire même à se développer (ils se reconnaîtront !). Et d’autres services restent sans doute à inventer pour compléter ce modèle.
Notre positionnement sur les tiers-lieux
Les deux modèles (publics et privé) ont chacun leur place et sont complémentaires. Nos derniers projets sont révélateurs de notre conception des tiers-lieux.
Nous avons d’abord travaillé pour le groupe Action Logement sur le positionnement de tiers-lieux de corpoworking en grande couronne toulousaine. Ce projet est original par son approche du tiers-lieu : il part de l’offre pour construire la demande. Des réunions de travail ont été organisées avec les grands groupes installés sur l’agglomération toulousaine, avec pour objectif d’analyser le nombre de télétravailleurs, leur lieu de résidence et leur appétence pour du télétravail en tiers-lieu. Pour, au final, positionner les tiers-lieux au plus près des lieux d’habitation à fort potentiel.
En 2023, nous avons aussi animé plusieurs webinaires pour des départements ou des réseaux de tiers-lieux visant à présenter notre vision du tiers-lieu de travail. Ces webinaires permettent d’abord de présenter le cadre juridique spécifique du télétravail pour le public et pour le privé, de réfléchir à la valeur ajoutée du tiers-lieu pour un salarié, et de proposer une méthodologie de prospection, permettant de les inciter à en franchir le seuil.
Dans le prochain épisode, nous ferons le lien entre télétravail et tiers-lieu. Je commencerais à expliquer comment une étude réalisée en 2015 nous a permis de croiser tous les sujets abordés dans les épisodes 1 à 4, et d’initier de nouveaux projets … et un nouvel outil.
(*) Guide Tiers-lieux & collectivités, comment faire ensemble ? Octobre 2023.
[…] Source : https://www.citica.com/2024/01/05/citica-a-27-ans-le-teletravail-et-les-territoires-les-tiers-lieux… […]